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Image du post Valentin Saint Jean (voir lien en fin de post)

Feuilleton MTAL d’après le recueil Mes Traces au Loing édité en avril 2019 chez Denis Editions. Premières publications blog entre 2014 et 2017.



Vendredi 5 décembre 2014 – 21h08 – au moulin


Il parait que les personnes qui n’ont vécu que la guerre, qui ne connaissent pas le calme de la paix ne peuvent s’y habituer et recherchent durant toute leur existence les remous du Réel, il parait que le corps devient dépendant de l’adrénaline qu’il secrète pour se protéger du danger ou de la douleur et que comme Obélix quand on est tombé dans une marmite de potion magique tout petit les effets sont permanents pour la vie. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre l’urgence comme si les neurones ne savaient plus s’imprégner d’un autre acide. Quand on n’a que l’urgent en tête on ne fait que les trucs rapides, ce qui prend du temps est toujours remis à plus tard quand le truc urgent s’arrêtera d’être urgent. Rejoindre le calme et les gens qui sont dedans est un vœu sans cesse ajourné.


Il parait qu’avec de l’obstination, une bonne détermination, fermeté, énergie on peut tout faire quand on veut. Dans Kill Bill[1] Uma Turman bouge ses pieds paralysés à force de volonté, peut-être qu’un gars qui a un doigt en moins en se concentrant très fort peut le faire repousser. Peut-être qu’on peut créer ce qu’on n’a pas et ouvrir l’impossible. Si j’étais prisonnière qu’est ce qui pourrait empêcher mon évasion ? Pour certains prisonniers récalcitrants l’issue existera toujours. Au pire s’enfuir à l’intérieur de son propre cerveau, créer un monde dans tous ses détails, laisser la pulsion de vie se frayer un chemin. Est-ce que le Paradis a été inventé par un habitant de l’Enfer ? Regarder des films romantiques, lire des jolies phrases, les maximes dans les anthologies de sentences importantes que tout le monde doit connaître pour savoir quoi faire dans les moments délicats de l’existence.

Sometimes all you need is twenty seconds of insane courage, twenty seconds of just embarassing bravery, and I promise that something great will come of it [2]

Je faisais comme ils disaient, ma vie allait changer, dépasser les bornes est toujours une promesse. Le plus dur c’est de trouver une pensée pour y penser tout le temps, une bonne idée de pensée qui dure.




Les retours d’Enfer sont mal acceptés comme s’ils étaient monstrueux, comme les gens qui subissent des métamorphoses. C’est pas la blatte de Kafka[3] qui dira le contraire. L’impensable c’est l’évasion. Il faudrait une contre-disparition, faire disparaître le regard des gens qui ne regardent pas, un genre de magie, entrer dans le miroir. On y inverserait les chocs pour les annuler. La lourdeur serait légère, la densité vide, disparaître une apparition, les désirs des réalités, le rêve une obligation. Si je disparais, j’anéantirais le traumatisme. Avant pour préciser le geste on aurait envoyé au hasard du vent un ou deux objets pour voir, des sortes d’espions en éclaireurs. S’ils reviennent en partie même en petits morceaux morcelés difficilement reconnaissable ça serait comme une démonstration par l’absurde, une preuve quasi scientifique. Disparaître ne serait plus une illusion. Apparaître à l’envers, le reflet du miroir se mettrait à exister. Est-ce qu’il aurait le droit de modifier la réalité avec son identité de reflet ?


Tout le monde sait que les illusions sont le secret des victoires telle l’invincibilité - que l’on nomme la toute-puissance, en terme psychiatrique. Qui est gêné de vivre avec une illusion ? Contre-disparaitre serait l’opposition à l’envahissement morbide qui tels les trous noirs absorbe matière et lumière. Savoir que les miroirs existent change tout, on n’est plus jamais seul quand on a un bon reflet. Peut-être que les reflets sont comme les âmes sœurs qui s’aident à être exactement ce qu’elles doivent être. Le meilleur abri c’est un deuxième cœur en plus de celui qu’on a déjà. Peut-être que dans le miroir en l’observant bien le reflet inversé me montrerait comment faire l’exact contraire opposé de mes actes et gestes, je ne forcerais plus le destin, je ne serai plus Warrior tous les jours ou guerrière, toutes choses qui effraient dans le corps d’une femme même si combattre n’est pas le privilège d’un homme, j’attendrais que le désir vienne me chercher, je le laisserais faire. L’impatience serait ma promesse, je ferais des trucs de princesse, rêver aux lèvres du chevalier, des trucs de déesse, des trucs de sirène, averses de phéromones pour tracer le chemin, des trucs d’amoureuse, secrets, murmures, je chuchoterai.


Si on se réveille à l’intérieur d’un reflet comme le Jake d’Avatar[4] on peut se mettre à courir alors qu’on n’a plus de jambes, habiter une autre vie, y rencontrer ceux qui vous disent I see you [5]. Annuler l’impossible ou le nier c’est pareil à l’intérieur du conte de fées. Soon or later, you always have to wake up [6]. Au bout d’un moment c’est la réalité qui deviendrait le rêve, je choisirai une jolie pensée pour vivre avec. Et peut-être que cette pensée me choisira aussi.




Musiques, films, phrases, images, peintures, dessins, aubes et crépuscules, au travers les émotions ressemblent à ce qui se passe quand on se penche au-dessus d’un vide, un mélange de fascination, la disparition de l’impossible, une percée, un lien, entre atmosphères. Si on peut l’atteindre le vide offre le refuge des abandons, si on se laisse tenter par la confiance, si on laisse agir le vertige et l’aspiration, aller aux envies, contempler ce qui vous cherche, n’aies pas peur quand il te prendra par la main, pense au premier plongeon de ta vie, la première fois que tu as rencontré l’eau, toutes les premières fois, les vraies premières fois celles des découvertes, le cœur qui bat, les mains moites, les idées tournent toutes seules dans la tête, tu réalises que la rive, ça y est, tu viens de la lâcher.


En rentrant dans le vide on trouve ce qui remplit. La partition est déjà dans les corps il parait, il faut imaginer un orchestre qui vibre, le son monte, les ondes se répercutent, le Réel aime les échos. Parfois, chance ou non, il arrive qu’on pénètre le vide à deux ou avec l’aide de quelqu’un, plus rarement à plusieurs mais ça arrive aussi. L’important pour rester ensemble dans le vide c’est de bouger de la même façon, se dépouiller de ce qui arme, se rappeler que le rapprochement protège les éloignements. Les moindres variations du rythme se propagent en boomerang dans un mouvement circulaire, quand le tracé est net les gestes oublient ce qu’ils font, ils n’appartiennent plus à personne ni à rien même pas au vide d’où ils naissent et se mélangent sans fusion. Peaufine les trajectoires, comme un poisson dans l’eau ou un oiseau dans le vent, ne résiste pas au courant. Ne rien attraper, ne pas retenir, rejoindre, attendre, n’emporte aucun verbe avec toi.

Sometimes your whole life boils down to one insane move [7].



Rien n’est invivable, seuls les morts arrêtent de vivre même s’ils continuent à transmettre. Tu peux pas comprendre, tu peux pas savoir tant que tu l’as pas vécu, si tu savais, si tu savais, si tu savais. Ces phrases concernent probablement les personnes qui ne peuvent pas soulever les mots de Primo Levi [8] ni ceux de personne, qui ne peuvent voir Les Liens invisibles de Selma Lagerlöf [9] et enferment ce qui ne se panse pas dans leur propre inconscience. Mort psychique, le lieu de l’impensable, dit-on. Quand on passe par une cellule on sait qu’on existe, on n’a pas à le prouver. Sans existence on n’y passe pas. L’invivable se vit, l’impensable se pense, et le souvenir vingt-quatre heures sur vingt-quatre. L’anéantissement c’est si et seulement si on échoue à communiquer.


A mon avis la seule façon de se débarrasser du Réel est la dilution, en déposer un peu ici, un peu là, quitte à rendre son entourage un peu gluant et le reste du monde collant comme une trace de confiture sur le doigt. L’échec de la mentalisation est une théorie comme l’idée qu’il existe des prisons dont on ne s’échappe pas ou des forteresses inviolables. Il n’y a pas de limites à la représentation psychique malgré le déni qui gangrène les failles narcissiques jusqu’à la nécrose. A mon avis la seule façon de gérer le Réel est le partage, oser les excursions, lui voler des bouts de jouissance de plus en plus grands, en ramener des provisions, des morceaux entiers, organiser des expéditions de ravitaillement. Diluer les extases autour de soi, répandre l’amour, en faire une collection non limitée par le stockage, tartiner le monde, le recouvrir s’il faut.


Si j’étais prisonnière qu’est ce qui pourrait empêcher mon reflet de me délivrer ? J’ai une collection de films, de la musique, des livres tapissent mes murs depuis toujours, d’innombrables dessins pleins de vide existent et je peux en voir certains, de jolies histoires sont rangées dans mon cerveau. Les périodes « sans » n’existent pas. Le Paradis est dans ma tête pour toujours.


myriam eyann




[1]Kill Bill film d’action américain écrit et réalisé par Quentin Tarentino sorti en deux volets, 2003 et 2004. La vengeance est le thème principal, ce film comporte de nombreux hommages au cinéma hongkongais d’arts martiaux, au chanbara japonais, aux films dit de série B et au western spaghetti. Uma Thurman, actrice principale du film est également productrice et scénariste américaine. [retour texte]

[2] « Quelque fois tout ce dont tu as besoin c’est de 20 secondes de courage fou, 20 secondes de bravoure embarrassante, et je te promets que quelque chose de merveilleux peut en sortir ». DansNouveau Départ (We Bought a Zoo), film américain du réalisateur Cameron Crowe sorti en 2011 avec Matt Damon et Scarlett Johansson. Le film se base sur les mémoires de Benjamin Mee qui racheta le Dartmoor Zoological Park où 200 animaux exotiques étaient menacés d'extinction, en Angleterre. [retour texte]

[3] Référence à La métamorphose, roman de Franz Kafka [retour texte]

[4] Dans Avatar, film américain de science-fiction écrit, réalisé par James Cameron, 2009. L’action se déroule sur Pandora recouverte d’une jungle luxuriante, théâtre du choc entre des humains venus exploiter un minerai rare susceptible de résoudre la crise énergétique sur Terre, et la population autochtone les Na’vis qui vivent en parfaite symbiose avec leur environnement. Un programme créé par les terriens, le programme Avatar, va leur permettre de contrôler des corps Na’vi clonés afin de s’insérer dans la population et de négocier avec elle. [retour texte] [5] dans Avatar, « Je te vois » [retour texte] [6] dans Avatar, « Tôt ou tard il faut toujours se réveiller » [retour texte]

[7] « Parfois votre vie entière dépend d’un moment de folie. » Dans We Bought a zoo [retour texte]

[8]Primo Levi (1919-1987) écrivain italien, chimiste de profession et de vocation, il entre tardivement dans une carrière d'écrivain orientée par l'analyse scientifique de cette expérience de survivant de la Shoah, dans le but de montrer, retranscrire, transmettre, expliciter. Si c'est un homme est son témoignage sur la survie dans le camp d’extermination d’Auschwitz où il est détenu de février 1944 à la libération du camp le 27 janvier 1945. [retour texte]

[9]Selma Lagerlöf (1858-1940) écrivain suédois, première femme à recevoir le prix Nobel de littérature en 1909. Les Liens invisibles est un recueil de nouvelles paru en 1894. Je recommande également Le banni et Le Violon du Fou, romans [retour texte]



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