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Grotte et le jardin d'hiver de Dubuffet


Image du post Vue de la grotte Chauvet - Afp Photo/Jeff Pachoud

Feuilleton MTAL 1 : Première publication blog entre 2014 et 2017, puis édité dans le recueil Mes Traces au Loing en avril 2019 chez Denis Editions.



Grotte et le Jardin d'hiver de Dubuffet


Peu de temps avant de commencer à dessiner, j’ai fait un rêve. J’étais coincée dans une grande grotte beigeasse, pas effrayante, mais plutôt insipide et sans surprise, et je cherchais à en sortir. Je trouvais un escalier qui avait toutes les promesses d’une sortie. Forcément, il montait ! En haut des marches pourtant, une porte fermée. Le passage avait existé, il y avait sa trace encore, d’ailleurs je me souvenais avoir emprunté cette issue maintenant condamnée. Je savais ce qu’il y avait derrière cette porte, une grande terrasse pour regarder au loin, du soleil, du vent, un ciel bleu, de l’espace, beaucoup d’espace. J’étais passée par là, avant, mais je savais que ce n’était pas vraiment une issue. Un leurre tout au plus.


Je suis redescendue. L’atmosphère était pleine d’ennuis, si fade, je n’avais aucune envie de rester dans la grotte. Les murs étaient arrondis, en coque, comme dans la maison des Barbapapa [1]. Il y avait, éparpillées, des papillotes pleines de couleurs montées sur des tiges en bois, je ne sais pas comment on appelle ces jouets qui tournent dans le vent (ni s’ils ont un nom). Il n’y avait pas de vent, mais les jouets tournicotaient. Je n’ai même pas regardé ces couleurs, ou je ne me suis pas rendue compte que je les voyais, qu’elles existaient malgré mon indifférence. Ces jouets étaient la seule partie vivante, la seule chose qui pouvait accrocher mon regard dans ce no man’s land. Pourtant, ce n’est pas ce que je scrutais, mais l’espace disponible, la forme et l’essence du lieu, le sens que je pouvais y donner.


L’issue n’existait pas, je devais faire avec ce qui se trouvait là. J’avais condamné la porte de l’escalier, moi-même, longtemps auparavant, dans un autre espace-temps, car elle menait à un endroit où je ne voulais plus me rendre. La terrasse est un autre espace, une autre possibilité, dont il est également impossible de s’échapper. C’est une dernière étape qui ne mène à rien, tout juste à un peu de contemplation. On ne peut en partir qu’en faisant demi-tour, ou alors en enjambant le parapet, on peut sauter dans le vide. Mais il n’a jamais été imaginable que mon histoire soit happée par le néant, même pas en rêve….


Je me suis mise à dessiner, oubliant momentanément mon rêve de grotte. Une légende familiale tenace raconte que mon grand plaisir était de ranger, petite, mes crayons de couleurs et feutres d’écolière par nuances et de les aligner devant moi comme un trésor. Parfois on croit que le cours d’eau se tarit, mais parfois aussi, il réapparait à quelques distances de là après un passage oublié sous la terre. L’utilisation et la contemplation des couleurs devinrent à cette époque la source de mes dessins.





Quelques années plus tard, j’ai découvert Le Jardin d’Hiver de Dubuffet[2], lors d’une visite au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. C’est une sorte de caverne blanche, bariolée de grosses lignes noires, toute cabossée. On y pénètre par une lourde porte qui restant ouverte, éclaire l’ensemble. Le socle est léger, les pas résonnent, on a la sensation de marcher sur du creux. Tout est bosselé, sol et murs, inégal. Irrésistiblement je m’assois sur un rebord, il y en a plusieurs aménagés de-ci de-là. Je regarde le plafond de la grotte, encore plus aléatoire que le toit terrasse de la Casa Mila à Barcelone[3]. Tout est blanc, laiteux, il n’y a aucun bruit. Je n’arrive plus à partir. Et pourquoi le ferais-je ? Pourquoi ne pas rester là le plus longtemps possible ? L’apaisement ressenti en me reposant dans cette architecture sculptée n’a jamais eu d’équivalent ailleurs. Si j’avais pu y rester j’y serais encore.


En rentrant dans mon petit appartement, je regardais la penderie, seule pièce apte à se transformer. Pour commencer me disais-je, ça sera bien, quoiqu’un peu à l’étroit, mais je trouverais bientôt une maison où loger ma grotte. Trois déménagements plus tard, mon projet de reproduction (de plagiat, oui ! je l’avoue) est encore en suspens. Il est parfois plus difficile que l’on croit de réaliser ses rêves.


De rêves de grottes en rêves de grottes, tel Robinson dans son boyau immaculé[4], je finis par dessiner ce que je nomme bien sûr « Grotte ». Ce titre n’est sans doute pas bien original, mais il ne s’agit pas ici d’un singulier qui me démarquerait de mes semblables, plutôt de mettre en scène une régression nécessaire, ressentir au fond de moi une origine atavique indissociable de mon humanité : quoi de plus originelle qu’une grotte pour se mettre à dessiner ? On dira : Quelle prétentieuse !, d’autant plus que l’humaine en question est ici une femme, mais après tout rien ne prouve que Lascaux a été peinte pas un homme (un garçon je veux dire !). On dira : Quel Orgueil, prétendre retrouver le geste artistique embryonnaire, et pourquoi pas le geste créateur démiurgique !!! Je n’ai pas tant d’intentions. Je lance quelques courbes comme à mon habitude, décèle une forme féminine dans la partie gauche, la développe, et ne sachant comment finir le dessin, je lui colle des couleurs au bout des bras, au bout des doigts, parce que je ne sais pas faire autre chose.


Exécutant le dessin je me suis à nouveau raconté mon rêve de grotte, j’ai évoqué la sérénité sacrée ressentie dans le jardin de Dubuffet, et sans m’en rendre compte, inventé une légende à mon dessin, toute personnelle et secrète alors. L’histoire n’existe que si je la raconte, et je ne peux imaginer autre chose en regardant ce dessin. L’envie de construire, répandre les couleurs dans mon abri, le besoin de rester là et de ne plus abandonner mon refuge, quitte à calfeutrer les fuites, de toute façon il n’y a pas d’autres issues.

Le récit est maintenant inscrit dans mon cerveau, indélébile, comme la couleur de mes marqueurs, censés être « permanents », on se rassure comme on peut, telles les lignes noires des sculptures de Dubuffet. Tout ceci pourrait être pathétique, mais ça ne l’est pas, parce que je continue à rêver de la grotte sur les parois de laquelle je dessinerais un jour.


14 Mai 2012

myriam eyann


Grotte, 2009, myriam eyann

Dessin marqueurs sur bristol, 70x50cm, collection particulière




Notes

Barbapapa, série de livres pour enfants crée en 1970 par un couple franco-américain, Annette Tison (architecte française née en 1942) et Talus Taylor (auteur de littérature jeunesse américain 1933 – 2015). Les Barbapapas sont des personnages en forme de poire de diverses couleurs qui ont la capacité de changer de forme à volonté. Annette Tison crée les maisons des Barbapapas en références à la Bblob architecture, courant architectural dans lequel les bâtiments ont une forme organique molle et bombée, comme de grosses amibes. A voir les réalisations de l'architecte hongrois Antti Lovag (1920 – 2014) et les domobiles, maisons évolutives en plastique de l'architecte Pascal Häusermann (1936 – 2011). Pour des réalisation plus contemporaines voir le site Kerterre et les Sustainable natural buidings with cobs de Brice Mathey.

Jardin d'hiver peinture monumentée (époxy peint au polyuréthane, dimension 5 x 10 x 6 m, réalisé en 1969-70) de Jean Dubuffet (1901 – 1985) conservée au Centre Pompidou, Musée national d'Art moderne. [retour au texte]

La Casa Milà surnommée La Pedrera construit à Barcelone par l'architecte catalan Antoni Gaudí (1852 – 1926) et inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco.[retour au texte]

Allusion au roman de Michel Tournier, Robinson ou les limbes du pacifique, 1967. Dans ce récit où Michel Tournier imagine le cheminement intellectuel de Robinson perdu sur son île et les adaptations qu’il traverse pour sa survie psychique, Robinson descend se ressourcer dans un boyau sous la terre où il régresse pendant de longues périodes. [retour au texte]

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