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Tant qu'il y aura des pelotes à démêler


Image du post myriam eyann, Ligne perlée (détail), 2016, dessin stylos gel sur carton collé 80x120cm


Feuilleton MTAL 2 : Première publication blog entre 2014 et 2017, puis édité dans le recueil Mes Traces au Loing en avril 2019 chez Denis Editions.

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Tant qu'il y aura des pelotes à déméler



Samedi 12 Avril 2014 – 14h38 – au moulin


Hier partage d’une vidéo sur Facebook, une artiste a créé une pelote emmêlée de trombones, un objet mou d’environ vingt centimètres de circonférence mais ce n’est pas une sphère plutôt un amas, quelque chose qui n’a pas d’ossature, une structure aléatoire en mouvement, hybride entre le mollusque et le crustacé. Elle la manipule avec douceur, la jette mollement, on ne voit que la main qui prend ce paquet, elle hésite, cherche son geste on dirait avec perplexité, incrédule comme si elle se demandait qu’est-ce que c’est ça, ou alors qu’est-ce que je peux bien faire de cette chose ou une fascination qui l’empêcherai de se focaliser sur un autre sujet[1].


Fascinant en effet, je suis totalement happé par cette image, la main qui manipule cette chose, la chose elle-même, tout ce que cet acte de la tourner en tous sens réveille ou tente de faire émerger. Je décide de partager la vidéo sur ma page et la publie avec ce commentaire : tant qu’il y aura des choses à démêler, tout ira bien.


Mon inscription sur Facebook date de quelques mois. Au début c’était un moyen pour me faire un réseau, j’ai lu sur un tchat que les réseaux sociaux sont les nouvelles social skills c’est ce qui m’incite à participer, essayer au moins, voir ce qui se passe là-bas. Les débuts sont envahissants, ça va si vite, peut-on maitriser un tel flux, une si grande énergie ? C’est addictif, chronophage, intrigant. Je crée une page, découvre, partage, clique sur les j’aime, publie mon travail. Créations, graphismes, photos, textes, citations, musiques, la source semble intarissable.


Au début, guidée par la pulsion du moment mes publications vont dans tous les sens, le petit bal perdu de Bourvil, comment laisser passer cette publication de l'INA, une citation rigolote prend place sur mon mur parce qu’elle m’a fait rire, une image qui me plait, un souvenir retrouvé de La Linéa [2], ce petit dessin animé que nous adorions enfants, beaucoup d’œuvres d’art, des belles images, bien sûr.


Il y a aussi tellement de causes dans lesquelles s’engager, sensibilisation à ce qui se passe dans le monde, prise de position, réaction à l’actualité politique, je surfe moi aussi, mal, l’impression de parler trop vite sans réfléchir, un jour un commentaire plus loin rappel à l’ordre, ce qui se passe ici n’est pas uniquement virtuel, c’est une représentation de la réalité, on y parle comme on est.


Entre temps ma liste d’amis s’agrandit, progressivement j’apprends qui est qui, qui fait quoi, des noms reviennent, certains se perdent pourtant inévitablement dans la masse. Mes publications se recentrent, mon profil, ce que voit les amis n’est pas entièrement maitrisable, il se forme en retour des réactions ou non réactions à mon attitude, à mes like, publications ou commentaires.

Ce qui se passe dans cette communauté ressemble à la vraie vie, une façon de réagir, la vitesse de cette réaction, le mode communicatif, timide, intrusif, méfiant, généreux, la position des uns par rapport aux autres. Il y a des idoles, quelques figures médiatiques, les très actifs, ceux qu’on n’ose pas solliciter et ceux qu’on sait abordable. Des personnes changent leur avatar ou leur photo de couverture sans cesse, d’autres publient toujours la même chose, il y a de la versatilité, de la ténacité, de la frivolité et de la profondeur, des fils rouges, des propos décousus, de la sincérité et de l’hypocrisie, de la représentation et de l’échange. Certains profils me plaisent, leur façon d’utiliser l’outil correspond à mes valeurs, humanisme, partage, diffusion du savoir, convivialité, respect.


Discussion avec mes fils sur l’utilisation de Facebook. Ils disent c’est comme une chambre, ok promis je rentrerais pas dans la vôtre. C’est un truc de jeune, ben non je rencontre pas mal de vieux. Tu peux pas maitriser, ok j’avais compris ça aussi.


Mais cette manne d’infos, ces images, quelque chose m’attire, se laisser porter n’est pas désagréable mais je ne suis pas là pour m’éparpiller, le but était de rentrer dans le réseau, prendre place d’une façon ou d’une autre. Je publie moins, observe. Comment font les autres ?


Internet est une grande arène où tout le monde a la parole, une espèce de rêve socratique, l’agora enfin. Comment prendre part au débat, comment se faire entendre, ai-je quoique ce soit d’intéressant à communiquer d’ailleurs. Tout ça est tellement compliqué, je regarde la chose avec perplexité au bout de mes doigts, qu’est-ce qu’on peut bien faire de ça ? Comment se servir de ce truc, à quoi ça sert ?


Quand on s’acharne à démêler la pelote, elle devient inextricable. Un recul de quelques mois me fait du bien. Je reviens sur le net avec conviction, ce que j’ai aperçu là-bas est trop beau, je ne peux pas renoncer. Recadrage sur mes objectifs, l’outil est tellement puissant, le but est de faire mieux avec que sans. Facebook fonctionne sur le mode du partage, comme j’aime ce mot partager ! C’est ce que je veux faire.


Les artistes découverts sont aussi bien une source d’inspiration, une émulsion propice pour mes créations qu’une promesse de ce partage. Mes préférences se dessinent autour de l’écrit en particulier, la calligraphie, la ligne, retour vers l’architecture également, je continue à m’engager pour certaines causes et mon réseau englobe tout ce qui gravite autour de ces thèmes.


Cet outil est déroutant comme les relations humaines. Je suis aussi là pour partager mon travail, je le fais dans l’espoir d’un retour, les like moi aussi j’aime. La confrontation à l’agora est une épreuve de sociabilité quoiqu’on en dise, on ne peut s’en servir que de cette façon avec les ressources sociales et les skills qui nous habitent déjà, ce qu’elle renvoie en miroir est l’image pas si déformée de soi-même, dans le reflet une partie seulement de ce qui existe, une apparence condense l’essentiel.


Pour comprendre quoique ce soit il faut le regarder pendant un très long moment, qui a dit ça ? Il n’est pas étonnant que mes partages se constituent de vidéos dans le genre de celle qui présente l’amas de trombones, on aime chez l’autre ce qu’on est. Ce qui est crée est une représentation, ce qui est montré est une construction reflétant la personne à l’origine du montage, les murs ressemblent à leurs auteurs et internet à cette masse qui bouge sans cesse, une non forme possédant une ossature labile et insaisissable. Ce qu’on crée, ce qu’on montre, ce qui est perçu, ce qui diffuse, ce qui reste anonyme, ce qui revient, ce qu’on garde, ce qu’on partage...






A l’occasion de vacances provençales, soirée d’échange autour de ce qui existe, la matière, ce qui est perçu, tu vois cet objet, il existe parce que tu le perçois, la petite phrase mythique était erronée, il s’agissait plutôt de je vois cet objet, je le perçois parce que j’existe. Différence de perception, philosophie de la matière, nous sommes cette matière qui pense, la possibilité de conscience préexiste dans ce qui nous constitue, c’est ma façon de résoudre les mystères, ma religion, mon animisme.


Quand je fais un feu au moulin, regarder le bois se consumer est un spectacle magnifique, la braise est vibrante, vivante, joyeuse, elle transmet son énergie, réchauffe mon corps et mon âme. A force de retourner les buches dans l’âtre, des formes, profils et visages apparaissent dans la fournaise. Parfois le feu s’éteint, la buche en partie calcinée échappe aux tas de cendres et va rejoindre au petit matin la collection de textures qui peuple mon foyer.


Ce que j’ai vu dans le bois, cette buche si différente, est une projection de mes perceptions, un avatar d’elle-même, transformation, changement de destinée, la buche ne deviendra pas cendre mais une image, une contemplation, Vishnou se réincarne c’est la définition de l’avatar.


Purni m’explique les trois divinités hindoues, les stades de réalisation, nirvana, détachement, suivre la voie du milieu, never ever think of the goal to reach it, la voie de l’amour seule a un sens, aimer la matière la fait vivre, regards et partages, canaliser et définir le point précis d’un propos, d’une réalisation, the most beautiful flower doesn’t exist in the desert because nobody can touch it.


La vérité existe-elle, peut-on la partager, ce qu’on perçoit, ce qu’on projette, ce qu’on en dit, ce qu’on en fait... J’en sais un peu plus aujourd’hui, mes socials skills se développent et la pelote reste emmêlée, tant mieux. Je ne sais pas comment on fait mais je le fais quand même. Cette phrase est devenue mon mantra. Elle ne signifie pas qu’on doit faire sans savoir le faire, ni que ce qu’on fait quand on ne sait pas le faire est une bonne chose, ni que ce qui importe est l’action et faire à tout prix même si on ne sait pas. Ce qu’elle exprime est ma pelote emmêlée et mon étonnement de la trouver en permanence en chantier. Je ne sais pas comment on fait mais je le fais quand même.


myriam eyann



[back] Sandra Portto artiste plasticienne, vit et travaille à Rio de Janeiro. Flexibilidade Uniao, vidéo 2014. Le travail de l’artiste est visible sur Flickr [back] La Linea, série télévisée d’animation italienne créée par Osvaldo Cavandoli dit Cava (1920 – 2007), diffusée à partir de 1971 sur la Rai, mettant en scène un personnage au simple tracé linéaire blanc sur fond uni de couleur, râleur et bougon, se déplaçant sur une ligne horizontale qui n’a de limite que par la volonté du crayon du dessinateur. Quand la linéa se retrouve devant un problème, il appelle le dessinateur qui ajoute, au fur et à mesure, les éléments du décor. À la fin de l'épisode, Cavandoli laisse généralement son personnage tomber dans le vide.

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